Les origines de l’Egyptologie

TEXTE DE CLAUDINE LE TOURNEUR D'ISON

La France n’est-elle pas la patrie de l’égyptologie ? N’avait-elle pas placé au cœur de sa capitale le magnifique obélisque de Louxor que le vice-roi d’Égypte avait offert au peuple français en hommage à Champollion qui venait de ressusciter la gloire des pharaons ? L’égyptologie, dès son origine, est bien une gloire française. Et la France, la patrie de l’égyptologie », répétait inlassablement l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt (1913-2011). L’Égypte lui doit, après Champollion, la place éminente qu’elle tient dans l’imaginaire français. 

Tout commence véritablement avec la Commission des sciences et des arts associée à la campagne d’Égypte de 1798. À l’expédition militaire, Bonaparte impose un aréopage de savants chargés de décrire un pays que les intellectuels estiment être le berceau de la civilisation occidentale. La tâche est colossale. Bravant les combats et les dangers, ils reviennent avec une étude encyclopédique, ayant passé au crible tous les aspects de l’Égypte, des antiquités à la langue, de l’économie aux structures sociales, de la musique à la géographie. À l’image de l’Institut de France auquel appartiennent ces savants, Bonaparte crée au Caire l’Institut d’Égypte et finance l’ouvrage fabuleux qu’est la Description de l’Égypte. 

Champollion : de la pierre de Rosette aux hiéroglyphes déchiffrés 

Lorsque le livre est édité en 1809, Jean-François Champollion a dix-neuf ans. Livre-miracle pour le jeune homme, mais aussi livre-poison tant les mauvaises retranscriptions des savants vont le conduire sur de fausses pistes. Depuis neuf années déjà, il s’attèle à sa passion pour les hiéroglyphes avec la prémonition qu’il en sera le déchiffreur. La pierre de Rosette, découverte par les soldats français lors de l’expédition d’Égypte, est l’élément fondateur où se cache la clé du système. Ce fragment de stèle portant un texte antique écrit en trois langues – grecque, démotique et hiéroglyphe – est le sésame qui lui ouvre la voie.  

Grâce à son éblouissante intelligence et à sa logique, Champollion va atteindre la vraie nature de la langue égyptienne. Pour faire parler des textes muets depuis deux millénaires, il utilise sa mémoire sémantique en étudiant, puis en s’appropriant un réseau de langues avec lesquelles il ne cesse de jouer. Après des années d’efforts, d’études, de tâtonnements, le 14 septembre 1822, il lance à son frère un « Je tiens l’affaire », avant de s’écrouler, anéanti. Le 15 mai 1826, Charles X le nomme conservateur du nouveau département égyptien du Louvre. Enfin, le 18 août 1828, le rêve de l’enfant Champollion se réalise : débarquer à Alexandrie pour être le premier à remonter des tombeaux l’histoire de la mère des civilisations. Les dés sont jetés. L’égyptologie est née. 

Lorsque le « Déchiffreur » s’éteint en mars 1832, Auguste Mariette est un gamin de onze ans habitant Boulogne-sur-Mer que rien ne prédestine à l’Égypte. En dépoussiérant un grenier, le garçon tombe sur les carnets de Nestor L’Hôte, un lointain cousin, compagnon de route de Champollion lors de la mission égyptienne de 1828. Le trésor que le destin lui abandonne entre les mains se transforme en un rêve obsédant. Plus rien désormais ne l’en détournera.

Ainsi, devenu un modeste professeur, Auguste Mariette va inscrire avec force son nom dans l’histoire de l’égyptologie en développant le long de la vallée du Nil l’archéologie militante, celle qui cherche sur le terrain les matériaux mêmes de l’histoire. « Mariette est vraiment le premier homme de terrain de l’égyptologie », affirme Christiane Desroches Noblecourt. En 1864, à son retour d’Égypte, l’écrivain et historien Ernest Renan, ébloui par le personnage, écrit dans la Revue des deux mondes : « Mariette a vraiment dirigé la plus grande entreprise scientifique de notre siècle. » Après avoir enrichi le musée du Louvre de sept mille objets provenant en majeure partie de sa découverte et de sa fouille du Sérapéum de Memphis à Saqqara, il s’établit en Égypte pour le compte du gouvernement égyptien.

Conscient du pillage et de la destruction des sites, il crée en 1858 le Service des antiquités d’Égypte, chargé de réglementer les fouilles, de mettre un terme aux dégradations et d’entreprendre le déblaiement des temples. Dorénavant, les archéologues aussi bien égyptiens qu’étrangers devront faire une demande d’accréditation avant de commencer à travailler sur un site antique. Plutôt que de voir s’évaporer dans la nature les centaines d’objets mis au jour à travers le pays, Auguste Mariette obtient du vice-roi de pouvoir créer un musée et de définitivement protéger les trésors qui jaillissent des sables. Mariette est ainsi au cœur de la sauvegarde du patrimoine égyptien au XIXe siècle.

Intimement liés, les postes de directeur du Service des antiquités et de directeur du musée égyptien (musée de Boulaq à l’époque) sont, après Auguste Mariette décédé en 1881, indéfectiblement accordés à un Français jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Nasser, en 1952. C’est donc Gaston Maspero qui succède à Mariette. L’homme est un brillant érudit. Désigné en 1880 par Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, pour être à la tête d’une mission archéologique permanente au Caire, baptisée École française du Caire, devenue Institut français d’archéologie orientale : le célèbre Ifao.

Maspero s’implique avec passion dans un pays qu’il n’avait a priori pas choisi. À peine en poste, il découvre à Saqqara les Textes des pyramides, textes religieux et rituels, qui avaient pour fonction d’aider le mort à accomplir le passage funéraire. Puis, il supervise la fouille de Karnak d’où sont extraites des centaines de statues colossales. « Voici vingt mois que nous pêchons la statue dans le temple de Karnak… Sept cents monuments en pierre sont déjà sortis de l’eau, mais c’est un peuple complet qui remonte à la lumière et qui vient réclamer un abri aux galeries de notre musée », écrit-il après avoir dirigé le déménagement du musée créé par Mariette, transféré dans le bâtiment rose qui s’élève sur la place Tahrir, au Caire.

Nefertari, Toutânkhamon… : les merveilles des nécropoles royales 

Depuis la découverte de Champollion, l’égyptologie a fait des émules dans bien des pays. Italiens, Anglais, Allemands se pressent pour obtenir des concessions. En 1904, l’égyptologue italien, Ernesto Schiaparelli met au jour la plus exceptionnelle tombe de la Vallée des reines. Devant la magnificence des représentations et des couleurs, Schiaparelli est pris de vertige. Aménagée pour la favorite et grande épouse royale de Ramsès II, la reine Nefertari, cette tombe reste un joyau de ce que l’art égyptien a produit de plus beau à la XIXe dynastie. Mais la découverte la plus vertigineuse, celle que tout archéologue rêve de faire un jour, revient à l’Anglais Howard Carter. Par une belle matinée d’octobre 1922, Carter prend le chemin du village des artisans, à Deir el-Médineh. Situé sur la rive ouest du Nil, à quelques kilomètres à peine de la Vallée des rois, le site est fouillé par l’archéologue français Bernard Bruyère. Carter vient faire part de son désespoir à son collègue. Son mécène, Lord Carnarvon met fin à leur collaboration, ne lui accordant plus que cette ultime campagne de fouilles.  

Depuis 1917, l’archéologue a remué des tonnes de sable, fouillé chaque recoin de la Vallée des rois sans parvenir à mettre la main sur le moindre indice lui laissant un espoir quant à l’existence de la tombe de ce pharaon nommé Toutânkhamon. Bruyère, qui suit avec intérêt les fouilles de l’Anglais, lui rappelle qu’il reste un seul et unique endroit où il n’a pas fouillé : près de l’entrée de la tombe de Ramsès VI, les vestiges des maisons édifiées à l’époque par les ouvriers travaillant à la construction d’une tombe qui devait se trouver dessous. Dès 1918, Carter avait à cet endroit fait d’intrigantes trouvailles : des dalles de pierre couvertes de branchages et de roseaux prouvant l’existence de ces habitations sommaires desquelles il avait exhumé quelques ostraca datés de Ramsès II, des perles de verre, des fragments de feuilles d’or et un vase contenant le corps desséché d’un serpent. Bien décidé à dégager ces vestiges, il avait été freiné dans son élan par Pierre Lacau, le directeur du Service des antiquités, lui interdisant de couper par ces fouilles l’accès à la tombe de Ramsès VI, l’une des plus belles tombes royales. 

De retour dans la vallée, convaincu par Bruyère, Carter convoque son fidèle reis, Ahmed Girigar, pour lui ordonner la reprise des travaux au pied de la tombe de Ramsès VI. Peu lui importe de désobéir aux injonctions de Lacau. Carter a depuis toujours l’intuition que la tombe est là, toute proche. Le 1er novembre, les ouvriers ont presque terminé le déblaiement des débris d’habitations ramessides. Carter photographie, fait des relevés et pousse les ouvriers à creuser plus profond encore afin de parvenir à la roche primitive. Le 3 novembre, le sol nu est atteint. L’exploration commence vraiment. En arrivant sur le chantier, le matin du 4 novembre, un silence pesant provoque chez Carter un malaise. Les ouvriers, d’habitude plutôt bavards, ne disent pas un mot. L’archéologue s’inquiète, croit à un accident.  

Ahmed Girigar reste muet. Puis, il fait signe à l’un de ses ouvriers de venir. L’homme raconte qu’il creusait le sable avec son bâton quand quelque chose de dur l’arrêta. De ses mains, il repoussa le sable jusqu’à dégager un bloc ancien. Pris de crainte, il n’alla pas plus loin. Carter lui demande de le conduire à l’endroit en question. À genoux, l’archéologue continue de déblayer le sable. Une marche apparaît. À la fin de la journée, un escalier profond de quatre mètres s’apparente aux marches menant aux hypogées de la XVIIIe dynastie. Fébrile, Carter veut cependant garder la tête froide. Le lendemain, les ouvriers, tout à l’excitation de cette découverte, poursuivent le dégagement jusqu’à une douzième marche. Là, se dévoile une porte murée portant le sceau de la nécropole royale.  

Commence alors pour Carter l’attente la plus longue de sa vie. Il n’ouvrira cette mystérieuse porte qu’en présence de Lord Carnarvon, alors en Angleterre, qui n’arrivera pas avant une vingtaine de jours. Le comte débarque enfin à Louxor le 23 novembre. Le 24 au matin, il se présente en haut de l’escalier. Carter et Carnarvon échangent un regard à la fois complice et anxieux. Une fois totalement dégagée, la porte laisse apparaître un cartouche royal répété à plusieurs reprises. Carter chancelle. Livide, il tourne la tête vers Carnarvon qui s’est penché pour voir les cartouches. Le comte saisit le bras de son ami. Carter est sans voix, son cœur près de s’arrêter. Carnarvon le supplie de traduire ce qu’il a lu : « Toutânkhamon » ! L’obsession de l’un et le rêve fou de l’autre sont devenus réalité. En 1967, grâce à Christiane Desroches Noblecourt, la France est la première à exposer au Petit Palais, à Paris, trente-cinq objets du trésor qui depuis 1922 n’avaient jamais quitté l’Égypte. Un affront pour les Anglais qui n’accueilleront l’exposition qu’en 1972, pour le cinquantième anniversaire de la découverte la plus fabuleuse de l’histoire de l’archéologie.

Photographie

© Boby

Lire aussi